Benjamin Alimi revient sur la collaboration entre l’ECPAD et Hiventy (2019-2023) concernant le plan de sauvegarde et de numérisation des films nitrate de l’établissement.

1 – Hiventy et l’ECPAD ont travaillé en étroite collaboration ces cinq dernières années (2019-2023) : quels sont les moments marquants que vous retenez de cet important marché de sauvegarde sur pellicule polyester et de numérisation en haute définition des films initialement tournés sur pellicule en nitrate de cellulose ?

L’un des moments les plus marquants de notre collaboration avec l’ECPAD a été le lancement du marché, en 2019. De par son envergure, il a fallu mettre en place une équipe Hiventy constituée de trois personnes installées au fort d’Ivry, qui inspectaient et sélectionnaient les bobines à partir desquelles nous allions travailler, ainsi qu’une dizaine de personnes à Joinville-le-Pont pour prendre en charge la suite des travaux.

Nous avons également déployé des outils de suivi exclusivement dédiés au marché. Il s’agit du plus important projet que nous ayons géré, avec des volumes à traiter inédits et des délais de livraison mensuels à respecter scrupuleusement.

Grâce à l’ECPAD, nous avons pu recruter et former des personnes à la réparation de pellicule, et ainsi préserver dans notre pays des savoir-faire rares. Le marché a eu un rôle important dans le maintien de notre laboratoire argentique et a eu des impacts collatéraux positifs pour le marché de la photochimie en France.

Un autre moment marquant est la période de la Covid-19, lorsque nous avons dû fermer notre laboratoire quelques semaines en mars 2020. Lorsque nous avons repris le service, le premier département qui a rouvert fut celui de la préparation des bobines ECPAD, afin de redémarrer le marché au plus vite.

2 – Vous avez pu parcourir une grande partie des collections de l’ECPAD. Que vous ont évoqué les images que vous avez pu voir ? Avez-vous aimé un fonds en particulier ?

Les images des collections reflètent bien l’époque bénie où la pellicule était reine !

Les fonds sont très variés, à la fois dans la diversité des thèmes abordés que dans les époques qu’ils balaient : de la Première Guerre mondiale au service militaire de Johnny Halliday, en passant par des films pédagogiques sur la construction de bombes ou le fonctionnement de moteurs thermiques…

À travers le temps, nous avons pu constater l’évolution de la technique cinématographique : les films muets de la période 14-18 ont un style bien distinct. Empreints d’une certaine naïveté dans la façon de filmer, ils contiennent de nombreux regards caméra. En travaillant sur ces films, nous avons eu de belles surprises, comme la découverte de teintages. En outre, des anilines étaient appliquées sur toute la surface de la pellicule.

Puis, en avançant dans les années 1930-40, nous avons été témoins de certains changements : les caméras sont plus souples, les trucages apparaissent, le son se dévoile…

Certaines images furent très dures comme celles présentant les gueules cassées ou encore les rescapés des camps de concentration.

La collection qui a sans doute le plus marqué les équipes d’Hiventy est les « J », les journaux de guerre de 1939-1945 alors diffusés dans les salles de cinéma. Réalisés sous forme d’actualités, ces films retracent les événements déroulés la semaine passée. Ce sont de véritables témoignages de l’époque et de la façon de présenter les événements, avec le dispositif du speaker et de sa voix si caractéristique.

Pour nos équipes, la grande opportunité de ce marché de sauvegarde a été de manipuler toutes ces images avec le support d’origine, le film nitrate principalement, pellicule qui est passée dans la caméra le jour du tournage, ou bien a été projetée à l’époque. Des décennies plus tard, nous avons tenu entre nos mains et vu les mêmes images que nos ancêtres !

3 – Le traitement en laboratoire des bobines de film, et en particulier la sauvegarde sur pellicule polyester devient un défi à bien des égards. Quelles sont selon vous les perspectives concernant les activités de numérisation et de tirage ?

L’ECPAD a eu la bonne idée de faire une double sauvegarde de ses films : par numérisation et par tirage. La chaîne numérique permet d’exploiter et diffuser rapidement les images et la chaîne argentique de les préserver pour plusieurs décennies.

Les activités de numérisation sont pratiquées par un grand nombre de laboratoires et de nombreux modèles de scanners existent, avec des fabricants proactifs sur la R&D.

En revanche, les tirages argentiques sont devenus de plus en plus rares sur le marché.

Les tireuses sont des machines anciennes, dont nous assurons nous-même la maintenance car les prestataires externes ont disparu. Cette opération fait appel à de la pellicule, dont le prix augmente. L’enjeu est de maintenir en marche les tireuses ainsi que les savoir-faire.

Heureusement, quelques laboratoires dans le monde, dont Hiventy, pratiquent encore la prestation de tirage argentique.

En parallèle, Kodak vient d’assurer poursuivre la fabrication de pellicule 35 mm pendant au moins dix ans.

Les perspectives pour l’avenir du tirage sont donc plus incertaines que pour la numérisation, mais nous déployons tous nos efforts pour maintenir cette activité le plus longtemps possible au sein de notre laboratoire.

Portrait de Benjamin Alimi