Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, la pratique de l’éducation physique rythme la vie du soldat dans le but de l’aguerrir. L’armée pratique la gymnastique et l’hébertisme, mais voit encore dans le sport une simple distraction. Il faut attendre l’éclatement de la Première Guerre mondiale pour qu’il reçoive à son tour sa reconnaissance. En effet devant le plébiscite qu’il suscite auprès des poilus et de la société comme objet distractif, le sport est adopté par l’état-major à partir de 1917. Sa pratique étant désormais l’affaire de l’armée, il devient dès lors un sujet des actualités militaires produites par la Section photographique et cinématographique de l’armée (SPCA). Ainsi en juillet 1917, le photographe Jablouski immortalise la rencontre des 22e et 63e bataillons de chasseurs alpins autour d’épreuves de force et d’adresse. Tout le conflit durant, les correspondants de guerre témoignent de l’émergence du sport dans les armées et sa progressive acceptation par l’institution militaire.
Les actualités témoignent par ailleurs du succès des activités sportives autour du ballon. À l’instar du photographe Albert Moreau dans les rues d’Hermonville en août 1915, les opérateurs se font les témoins de parties de football improvisées. Cette situation précaire s’améliore par ailleurs avec la reconnaissance du haut commandement qui distribue des ballons et organise des rencontres. Le photographe Cordier peut ainsi couvrir le match de rugby entre les équipes militaires française et néozélandaise pour la coupe de la Somme le 8 avril 1917 au stade de Vincennes. Cette partie permet par ailleurs à l’opérateur Marcel Martel d’enregistrer le premier haka filmé en France. Rappelés à l’aube du conflit mondial suivant, les opérateurs font du sport un sujet récurent des actualités militaires sous forme de rubrique sportive. Pour autant, le ballon règne toujours au front sous le patronat de l’état-major qui continue à en distribuer aux troupes. Les actualités médiatisent l’organisation de nombreux matchs entre unités et alliés.
Après l’armistice, le sport fait partie intégrante du programme militaire national du régime de Vichy. Pour la Section cinématographique de l’armée (SCA), le message à transmettre est éducatif : le sport doit contribuer à la cohésion du groupe, endurcir le corps, forger le caractère et servir de préparation militaire. Aussi en 1941 on projette au cinéma le nouvel épisode La Cité du muscle du magazine La France en marche de Pierre Nord. Celui-ci relate l’entraînement des jeunes du Collège national de moniteurs et d’athlètes d’Antibes. La même année, le photographe Marcel Viard suit le quotidien des enfants de troupe de l’École militaire enfantine Hériot à Draguignan : photographiés dans leurs activités militaires, scolaires et sportives, ils pratiquent la gymnastique et l’hébertisme, la natation et l’athlétisme.
De l’autre côté de la Manche, les Forces françaises libres possèdent aussi leur service d’information autour d’opérateurs comme Lucien Guimas qui, pendant cinq ans, filment et photographient l’activité des Forces françaises libres. La revue filmée Ici… la France, éditée par les studios de l’Office français d’information cinématographique,aborde le sportau cœur de l’instruction des cadets de la France libre dans son numéro Ils s’instruisent pour vaincre (1944). Après la guerre, le Service cinématographique des armées continue de réaliser de nombreux reportages autour du sport.
L’importance que l’armée lui prête inaugure par ailleurs une véritable politique communicationnelle de Défense. La doctrine d’Antibes (1960) et celle de Fontainebleau (1975) consomment le mariage entre culture sportive et militaire en introduisant la pratique d’une discipline sportive. En mai 1978, le magazine Armées d’aujourd’hui, dans son numéro spécial Du sport pour tous, présente le soldat-sportif à la pratique de l’escrime, de la natation, du parachutisme et du footing. Avec un intérêt prononcé sur la condition du combattant, les magazines s’emparent du sport et médiatisent la place que lui donne l’armée au cœur de la construction du soldat. C’est ainsi qu’en mars 2022 la photographe Cyrielle Sicard de l’ECPAD, en immersion au sein de la Patrouille de France, présente les pilotes en séance de réveil musculaire avant leur départ en voltige aérienne. En France comme en opération extérieure, mondes combattants et sportifs restent associés dans le prisme médiatique du ministère des Armées.
En parallèle, dans une contribution à l’effort sportif national, la fondation de l’École interarmées des sports (EIS) en 1967 puis celle du Centre national des sports de la Défense (CNSD) en 2006 entraînent la pratique à son plus haut niveau en formant des professionnels dans leurs disciplines sportives. De nombreux reportages ont depuis alimenté les rubriques en exaltant les vertus du combattant par l’exemple du soldat-athlète : se dépasser et vaincre. Diffusé à la télévision en avril 1992, le magazine Top Défense intitulé Militaires et champions présente l’entraînement des alpinistes en prévision des jeux olympiques d’Albertville. À sa suite, le Journal de la Défense intitulé Armée des champions et diffusé en avril 2023 sur la chaîne parlementaire dévoile la préparation des athlètes militaires pour les Jeux olympiques de Paris à venir. Le soldat n’est plus seulement sportif, il est champion.
Gael Fernandez