Le Salon des armées : un événement artistique et patriotique (1916-1917)
À partir de 1915, la guerre s’enlise et le front se fige, ce qui favorise le développement de « l’art des tranchées ». Pour de nombreux soldats, dessiner, graver ou sculpter constitue une manière de tromper l’ennui, le cafard, et de combler les heures d’attente. La valorisation de ces productions à l’arrière dans des expositions à forte dimension patriotique est une nouveauté. Organisé par le Bulletin des armées de la République, le premier Salon des armées — présenté à Paris au Jeu de Paume, du 22 décembre 1916 au 22 février 1917 — est le plus grand salon artistique de la Première Guerre mondiale en France.
Du « Salon du poilu »…

Décembre 1916, Paris.
© Albert Moreau/SPA/ECPAD/SPA 148 M 3055
L’idée d’un « Salon du poilu », où seraient exposées les œuvres des soldats émerge à l’été 1916. Le projet est soumis à débat quant au périmètre que doit recouvrir un tel évènement.
Qui peut participer ? Doit-il être réservé aux combattants du front ou bien ouvert aux mobilisés de l’arrière et aux civils ? Doit-on laisser une part, et laquelle, aux « industries artistiques de la tranchée » ou favoriser les artistes professionnels enrôlés ? Ces discussions reflètent l’enjeu plus large de la définition et de la place de l’art dans une société en guerre. La presse spécialisée relaie ces interrogations, oscillant entre enthousiasme patriotique et scepticisme face au risque de dispersion d’une exposition ou où l’expérience du front serait seule source de légitimité.
…au Salon des armées
C’est finalement un format largement inclusif qui est adopté : le choix est fait d’offrir une visibilité à toute forme de création issue de la guerre, à tous les artistes sous les armes, combattants et non combattants, français et originaires des pays alliés. Le règlement qui délimite le programme iconographique de l’exposition confirme cette inclusivité en élargissant la définition de l’art « guerrier ». Plus qu’une exposition d’art académique, ce salon veut proposer un regard global sur l’expérience combattante.
« S’il n’impose pas explicitement l’obligation de ne reproduire que des sujets se rapportant à la guerre, il n’en est pas moins vrai que notre salon doit être avant tout une exposition de guerre. Il est bien évident que des portraits de “belles madames”, des tableaux de fleurs, des natures mortes ou autres sujets de “genre”, même traité par des artistes de talent, seraient déplacés au “Salon des armées”. Ce que nous demandons à nos exposants, c’est la “chose vue” pendant la campagne : paysages de guerre, coins pittoresques de cantonnements, reproductions de villages, de scènes d’hôpitaux, portraits ou caricatures de poilus, interprétations de types caractéristiques entrevus, paysans du front, mercantis, infirmières, etc. Dans cet ordre d’idées, il n’est pas indispensable que chaque tableau ou dessin ait un caractère strictement guerrier : un coin de cabaret de village, un paysage où grouillent des gosses peuvent donner, sans qu’y figure aucun personnage en uniforme, une idée de la vie “à l’avant”. »
Bulletin des Armées de la République, 11 octobre 1916, p. 8.

© Paul Queste/SPA/ECPAD/Défense/SPA 62 B 4494
Un succès populaire et médiatique

22 décembre 1916, Jeu de Paume (Paris).
© Albert Moreau/SPA/ECPAD/SPA 148 M 3062
L’exposition s’ouvre officiellement le 22 décembre 1916 au Jeu de Paume, site prestigieux qui confère au salon une légitimité institutionnelle et symbolique forte. Plus de 3 000 pièces sont présentées. Elle est décrite par les journaux comme un succès populaire, surtout après Noël. Elle fait l’objet d’une forte couverture médiatique par la presse nationale — Le Temps, La Presse, Journal des Débats, etc. — qui saluent la diversité des genres et l’unanimisme patriotique. D’autres, comme L’Illustration, soulignent la prépondérance des amateurs parmi les exposants, au détriment de figures artistiques de premier rang.
Recherche sur le site ImagesDéfense
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Pistes pédagogiques
- Dans la peau… de visiteurs du Salon des armées (par exemple en famille, après Noël)
- Dans la peau… d’un membre du jury du comité de sélection ou d’un journaliste critique d’art
- Débat : pour ou contre un salon inclusif ?
- Débat : l’artisanat des tranchées, est-ce de l’art ?
Ressources en ligne
Prolongements
L’expérience du Salon des armées se prolonge au XXe siècle lors des différents conflits.
Au printemps 1940, la Foire de Paris accueille l’exposition Sous le casque, présentant des œuvres créées pendant les longues heures d’attente de la « drôle de guerre », comme en témoigne le magazine filmé Nouvelles du monde no 7, complément depuis avril 1940 du Journal de guerre (journal d’actualités filmées hebdomadaires produit par le Service cinématographique de l’armée (SCA) et destiné aux troupes).

Vidéogramme extrait de Nouvelles du monde no 7, 15 juin 1940.
TC 00 :02 :13 à 00 :03 :10.

Le Bled, no 18, 22 novembre 1958, p.25
En novembre 1958, lors de la guerre d’Algérie, le premier salon des artistes militaires est inauguré dans le hall du journal Le Bled à Alger, qui en est l’organisateur.
Créé en décembre 1955 par le Service d’action psychologique de l’armée française et publié jusqu’en 1962, Le Bled est un hebdomadaire destiné aux appelés en Algérie qui a pour objectifs d’informer, promouvoir et légitimer l’action de la France dans les départements algériens auprès des soldats basés en Afrique du Nord. Tiré à plus de 300 000 exemplaires, il mêle photographies, récits de pacification, exaltation de l’armée, ainsi que bandes dessinées, humour, jeux et chroniques pratiques. En 1957 est inauguré au siège du journal à Alger un hall d’information, qui devient un lieu d’expositions variées. C’est dans ce hall qu’est présentée l’exposition des artistes militaires organisée par le journal.