1/ Dans le cadre de cet atelier, les étudiants du Master 2 Histoire du cinéma mènent leur recherche sous la forme d’un film de montage, réalisé essentiellement à partir des fonds photographiques et cinématographiques de l’ECPAD. Pouvez-vous revenir sur la création de cet atelier et le partenariat avec l’ECPAD ?
L’atelier « Montage d’archives » a été créé en 2017 dans le département d’Histoire de l’Art et d’Archéologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, au sein de notre équipe cinéma. Il est né d’un désir commun de repenser les frontières poreuses entre recherche et création, pensée théorique et expérience pratique. Cette initiative s’explique également par un changement technologique important et la volonté d’accompagner une nouvelle génération souvent plus à l’aise avec les outils de montage numérique. Pourtant, cette génération qui pense de plus en plus par l’image et à partir de matériaux audiovisuels hétéroclites n’est pas toujours capable de convoquer les outils théoriques et méthodologiques pour le faire de manière critique. C’est pourquoi la création de l’atelier montage a été dès l’origine pensée en corrélation avec des séminaires théoriques consacrés aux prises et reprises des images d’archives, à leur statut et leurs usages dans l’écriture documentaire de l’Histoire.
Il faut rappeler que la création de cet atelier a été possible parce que des liens avaient été noués entre la direction de l’institution et le monde universitaire depuis le début des années 2000. Grâce à l’historienne Sylvie Lindeperg, notamment par ses travaux sur la Seconde Guerre mondiale et les images d’archives, nos étudiantes et étudiants d’histoire du cinéma travaillaient depuis plusieurs années déjà à partir des archives de l’ECPAD. La découverte de ce lieu de conservation et de valorisation faisait partie de leur formation ; la visite au Fort d’Ivry, qui marquait les esprits, les incitait souvent à mener un travail de recherche sur ces fonds cinématographiques et photographiques. Tout cela fut possible grâce à une politique d’ouverture de l’ECPAD à l’égard du monde scolaire et universitaire, initiée par le directeur Christophe Jacquot et ses équipes, dirigées par Gilles Ciment et Lucie Moriceau-Chastagner, qui ont soutenu activement ces nouveaux projets. Lorsque j’ai intégré l’Université Paris 1 en tant que maîtresse de conférences il y a dix ans, je voulais mettre au service du département mon expérience filmique et mon désir de créer de nouvelles formes d’élaboration et de transmission du savoir. Je commençais à m’intéresser à ces fonds grâce à Magdalena Mazaraki qui s’était investie avec passion dans les projets pédagogiques de l’ECPAD. Les étoiles étaient alignées pour proposer une nouvelle forme de coopération au niveau du master.
L’atelier montage d’archives correspondait donc parfaitement à cette ouverture à d’autres publics et à une mise à disposition plus large des images d’archives voulues par l’ECPAD. D’un point de vue pédagogique, l’atelier avait également la particularité de repenser le travail de réalisation et d’écriture au sein d’un groupe. Je tenais en effet à donner à ce séminaire la forme d’un atelier collectif, un peu à l’image des groupes de production en Pologne communiste, sur lesquels j’avais rédigé ma thèse. Le film, porté par un auteur, s’élabore en confrontation aux regards des autres, dans une approche critique mais bienveillante, dans un esprit d’entraide et de coopération artisanale qui me semble fondamental.
Depuis 2017, cet atelier donne la possibilité aux étudiants et étudiantes de notre formation de valider leur Master 2 sous la forme d’un court métrage réalisé à base d’images d’archives – issues de diverses institutions mais essentiellement de l’ECPAD – accompagné d’un mémoire écrit d’une quarantaine de pages dans lequel ils explicitent leur recherche d’archives, présentent les fonds exploités et pensent leur pratique en justifiant leurs choix. Leur film fait aussi l’objet d’une post production professionnelle grâce aux studios son et aux techniciens mis gracieusement à leur disposition par l’ECPAD. À la fin de l’année, ce double travail – écrit et filmique – fait l’objet d’une soutenance au même titre que les autres mémoires de Master 2. Les films sont projetés chaque année à l’auditorium de la Galerie Colbert à l’INHA, puis diffusés devant un public plus large au festival War on Screen (WoS) à Châlons en Champagne, grâce au partenariat qui existe entre WoS et l’ECPAD.
2/ Quels sont les thèmes et périodes historiques qui ont été abordés par les étudiants depuis la création de l’atelier et comment leurs choix se concrétisent-ils (histoire personnelle et familiale, sujets abordés en cours, hasard des découvertes…) ?
Le choix de la période et des fonds dépend d’abord du sujet de recherche qu’ils proposent. À partir d’un projet de recherche souvent vague, consacré à une zone géographique, chronologique ou à une thématique large, nous tentons, avec l’aide de mes collègues du département, mais aussi sur les conseils des équipes de l’ECPAD – de Véronique Pontillon, de Marlène Faivre et des responsables de la médiathèque comme Philippe Touron – de les orienter vers des fonds particuliers. Parfois le processus est inverse : nous connaissons des fonds qui ont été peu étudiés et nous les leur proposons. Si le hasard des découvertes fonctionne aussi, il est souvent suscité et préparé en amont. Dans la mesure du possible, je tente d’écouter d’abord la motivation première de recherche des étudiants avant de les orienter vers tel ou tel sujet et de les inciter à mener les recherches bibliographiques qui leur permettront de mieux cerner leur sujet.
Dans les premières années de l’atelier, leur intérêt portait spontanément et en grande majorité sur la Première et la Seconde Guerre mondiale, car c’étaient des périodes qui leur étaient plus familières que d’autres, mieux connues du fait de l’enseignement de l’Histoire au lycée et à l’université. Mais ils les abordaient souvent avec des questions de notre temps : la place des femmes dans la mobilisation, la question de la propagande ou encore celle de l’aide humanitaire. Peu à peu nous avons tenté de les orienter vers d’autres périodes : la guerre d’Algérie, la guerre d’Indochine, la guerre en ex-Yougoslavie ou même des sujets plus sensibles comme l’intervention française au Rwanda.
Le point de départ de leur film est souvent lié à une question qui les hante. On comprend rapidement en creusant un peu qu’il s’inscrit, de manière plus ou moins consciente, dans leur mémoire familiale ou dans leur trajectoire personnelle. Selon un mécanisme mémoriel assez classique, ce sont souvent des films de « petits-fils » et de « petites-filles » qui confrontent des archives familiales avec celles de l’ECPAD. Ce fut par exemple le cas du très beau film d’Anouk Phéline, Captures, consacré à son grand-père qui passa sa jeunesse en captivité dans un camp d’officiers français en Allemagne. Mais cet intérêt personnel pour un sujet n’est pas systématique. Nolwenn Etard s’est par exemple intéressée aux images de la prise du siège de Sarajevo dans La nuit continue en confrontant les images de l’ECPAD au journal d’un officier français pendant la guerre en Bosnie.
L’ensemble des films réalisés dans ce cadre est visible sur la page YouTube « Mont(r)er l’Histoire »
https://www.youtube.com/channel/UCA8-5QLfSMS2RA2XKy1TGkA
3/ Quel regard portez-vous sur les fonds de l’ECPAD ? Sont-ils une source de documentation et/ou d’inspiration dans la réalisation de vos différents travaux (enseignement, recherches, réalisations) ?
De nombreux travaux d’historiens et d’historiennes ont démontré la valeur documentaire de ces sources précieuses pour penser et écrire l’Histoire. Nous étudions ces textes en cours, nous regardons ces archives en questionnant leur réemploi dans le cadre de productions documentaires contemporaines.
D’année en année, les projets des étudiants renforcent mon intérêt pour ces archives, et témoignent d’un intérêt renouvelé pour des images qui nécessitent un véritable travail de recherche pour les comprendre et les interpréter. Il est fascinant de voir des sujets portant sur la danse, le théâtre ou la vie quotidienne prendre forme à partir de ces sources. Le film de Justin Clément Initiation, réalisé en 2021, pose par exemple la question du regard sur des images de danses « africaines », leur réemploi, leur circulation et leur réappropriation aujourd’hui par des anthropologues ou des chorégraphes, tout autant que par lui. Le travail que mène cette année Éléonore Dées de Sterio sur le théâtre aux Armées permet de croiser les archives de l’ECPAD avec celles de la Comédie française, sur les pièces jouées sur le front pendant la Première Guerre mondiale. Chaque film éclaire de manière très singulière tous ces fonds.
Je pense que l’une des forces de l’atelier est de permettre aux étudiants d’exploiter leur créativité et leur aspiration au savoir dans un cadre universitaire, qui les oblige à exploiter ces images d’archives fascinantes de manière précautionneuse et respectueuse de leurs conditions de fabrication, sans pour autant être confrontés aux contraintes économiques de production ou de diffusion. De la recherche d’images à la post production, en passant par l’écriture et le montage, ils sont accompagnés à chaque étape de leur projet et peuvent ainsi apprendre une pratique et une éthique, matrices essentielles d’un travail de réalisation à la fois rigoureux et inventif.
Cela donne lieu à des formes cinématographiques très variées qui, malgré des moyens techniques limités et un temps de fabrication assez court, ouvrent parfois des voies nouvelles. Je tiens beaucoup à cette diversité des formes esthétiques. Les voix, les longueurs de plan, le rythme choisi, tous ces choix témoignent d’une créativité et d’une recherche appliquée. Les étudiants et étudiantes de l’atelier peuvent se permettre d’expérimenter différentes manières d’écrire, de raconter et de penser, au risque parfois de se tromper ou d’être insatisfaits rétrospectivement par une solution formelle choisie. Car ces obstacles, ces contraintes de calendrier et ces échecs apparents sont tout autant formateurs.
Les mémoires écrits qui accompagnent ces films prouvent en tout cas qu’ils en sortent toujours transformés, en tant qu’apprentis chercheurs, réalisateurs ou monteurs, mais aussi en tant que spectateurs et citoyens. Ils deviennent aussi plus critiques à l’égard d’une certaine production télévisuelle qui utilise trop souvent les images comme simple illustration d’un propos, sans s’interroger sur le statut de ces images. Je pense que la fabrication d’un tel objet filmique dans le cadre leurs études les marque à jamais et bouleverse souvent leur manière de voir et de comprendre les images du passé. Je suis curieuse de savoir ce qu’ils feront de cette expérience de recherche et de réalisation dans leur avenir professionnel et dans leurs choix de vie.