1) Pouvez-vous dire comment vous est venue l’idée de la création de ce festival ?

Si la France demeure l’un des pays les plus richement dotés au monde en festivals de cinéma thématisés (par genre, par cinématographie, etc.), voire en festivals plus largement patrimoniaux (du Festival international du film de La Rochelle au Festival Lumière de Lyon), le pays qui a inventé le cinématographe et dominé la production mondiale jusqu’à la Première Guerre mondiale ne possédait curieusement aucune grande manifestation dédiée aux trente-cinq premières années du cinéma, celles du cinéma « sans paroles », qui consacra tant de stars de par le monde et produisit tant de chefs-d’œuvre.

Il suffit pourtant de voir le public des Giornate del Cinema Muto, qui se tiennent à Pordenone, en Frioul-Vénétie Julienne depuis 1982, du San Francisco Silent Film Festival, organisé depuis 1996, ou du Festival Internacional de Cine Silente à Mexico, depuis 2015, pour mesurer la popularité de ces films auprès des spectateurs de tous âges et de toute condition sociale, qui dépasse et de loin le seul cercle des cinéphiles.

Bénéficiant d’une situation géographique privilégiée, facile d’accès en train ou par autoroute, située à une heure de Paris et dotée d’infrastructures culturelles en plein centre-ville, Chartres nous a semblé pouvoir devenir l’écrin idéal de ce nouveau rendez-vous, cinéphile, à vocation internationale.

2)  En quoi le film muet a-t-il été une révolution culturelle et qu’a-t-il apporté à la culture des XXe et XXIe siècles ?

Avant d’être considéré comme le septième art, le cinéma a commencé par constituer une attraction foraine, au même titre que les phénomènes dits de foire (freaks) ou les diseuses de bonne aventure.

En à peine vingt ans, après l’apparition du Cinématographe Lumière en 1895, tout sera inventé ou presque : la façon de filmer, d’associer les images puis les scènes, d’écrire une histoire destinée à être adaptée pour le cinéma, d’organiser la production, la distribution et l’exploitation des films, de trouver des actrices et des acteurs, de former des techniciens, de créer les genres cinématographiques, etc.

Et dans le même temps, et dès les premiers périples des opérateurs Lumière à partir de 1896, les populations du monde entier ont commencé à découvrir « l’autre », les autres, les autres civilisations, les autres populations, en mouvement sur un écran, là où on ne pouvait les voir jusque-là que sur des dessins, des gravures ou des photographies.

L’histoire du cinéma est une histoire mondiale, mondialisée, et indissociable de celle de la mondialisation – le cinéma a en effet été l’un des principaux vecteurs de son développement.

3)  Comment les films de l’ECPAD intègrent-ils la programmation du festival ?

Avec la directrice artistique du festival, Karine Bey, nous avions à cœur de pouvoir programmer, dès cette première édition de Sound of Silent, festival international du film muet de Chartres, des documentaires réalisés par et/ou pour le service cinématographique des armées avant l’invention du cinéma parlant autant que des documentaires contemporains utilisant des documents d’archives « muets » à l’origine.

Dans cet esprit, Gilles Ciment et Véronique Pontillon nous ont ainsi fait découvrir et permis d’intégrer à notre programmation La Puissance militaire de la France (1917) et Les Enfants de France pendant la guerre (1918) de Paul Henri Desfontaines, Les Marins de France (1917) dans une version restaurée en 2017 et commentée par Jacques Perrin, autant que Là où poussent les coquelicots (2016) de Vincent Marie ou Fragments de la Grande Guerre (2018)de François Borot.

Contrairement aux idées reçues, le « cinéma muet » n’a jamais été silencieux, et fut au contraire indissociable de la musique et du spectacle vivant. Chaque séance de projection était à cet égard unique. Raison pour laquelle nous étions heureux de pouvoir présenter cette année, à Chartres, La Puissance militaire de la France, Les Enfants de France pendant la guerre et Les Marins de France (2017) en ciné-concert.

Les prises de vue réalisées par les opérateurs des armées étant demeurées « sans paroles », durant plusieurs décennies encore après l’invention du cinéma parlant, nous espérons pouvoir concourir à faire (re)découvrir, chaque année dans le cadre de Sound of Silent, ce patrimoine exceptionnel que conserve et restaure l’ECPAD.