Mobilisation économique – La création d’une industrie
Dossier pédagogique de l’exposition Derrière les masques. Photographies des deux guerres
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Des industries réorientées
Face à la nécessité urgente de produire des équipements de protection contre les gaz toxiques, les États mettent en place une industrie du masque à gaz. En France, au Royaume-Uni et en Allemagne, des usines sont mobilisées pour la fabrication de masques et de filtres. C’est le cas de Michelin, qui applique pour la première fois dans son atelier de Clermont-Ferrand les principes du taylorisme, chaque masque se composant d’une trentaine de pièces qu’il faut découper, assembler, coller ensemble, sécher et vérifier. Grâce à l’introduction de cette organisation, l’usine peut réaliser chaque jour des milliers de masques. Cette production mobilise également des ressources considérables en matériaux (charbon, caoutchouc, métal) et en main-d’œuvre, souvent féminine. À partir de 1915 en effet, le nombre de femmes dans les usines ne cesse d’augmenter, et elles sont massivement employées dans cette économie de guerre.
Pathé : du cinéma aux équipements de protection
L’usine Pathé de Vincennes (photographie n° 3) est un exemple emblématique de la reconversion industrielle civile vers la production militaire, ainsi que de l’implication féminine dans l’effort de guerre. Spécialisée dans la fabrication de films et de pellicule, elle est dès 1915 partiellement reconvertie dans la production d’équipements militaires, notamment des masques à gaz. Un « service des masques lunettes » y est mis en place. À partir de 1916, les ouvrières y fabriquent des lunettes de protection contre les gaz. Cette participation de l’entreprise Pathé à l’effort de guerre répond à une logique de mutualisation des ressources humaines et matérielles : la main-d’œuvre est déjà présente, les compétences en confection aussi, et l’usage habituel du celluloïd utilisé pour la fabrication de bobines de films est détourné pour servir de « verres » aux lunettes de protection.
FOCUS IMAGE : Les ouvrières de l’usine Pathé de Vincennes confectionnent les lunettes de protection contre les gaz
Les 3 et 4 avril 1916, le photographe Albert Moreau réalise pour la Section photographique de l’armée (SPA) deux reportages afin de documenter la production de lunettes de protection contre les gaz dans les usines Pathé de Vincennes et de Joinville-le-Pont. L’opérateur photographie les différentes et nombreuses étapes de confection de ces lunettes, de la fabrication de certains des composants à l’assemblage final. Les photographies présentent différentes étapes de production auxquelles travaillent des femmes, mais également des hommes et des enfants. Ces deux reportages comprenant chacun 9 photographies sont accessibles en ligne sur le site ImagesDéfense
- ImagesDéfense – L’usine Pathé de Joinville-le-Pont.
- ImagesDéfense – L’usine Pathé de Vincennes confectionnant des lunettes de protection contre les gaz.

Les ouvrières de l’usine Pathé confectionnent les lunettes de protection contre les gaz.
Vincennes (Seine), 4 avril 1916. Albert Moreau.
ECPAD (Ivry-sur-Seine), SPA 75 M 1816
À première vue, et hors contexte, on ne comprend pas d’emblée que l’activité visible sur l’image est celle de la fabrication de lunettes de protection contre les gaz. Il faut attentivement observer le spécimen posé au bord de la table (à côté de la main droite de l’ouvrière au premier plan) pour remarquer que trois couches de tissu perforé sont superposées et assemblées de manière à offrir une protection renforcée. L’objet a d’ailleurs probablement été placé ainsi à dessein.
À l’arrière-plan, on distingue des éléments d’architecture en métal et de grandes verrières typiques des installations industrielles de l’époque, et une dizaine de silhouettes, qui tournent leur regard vers le photographe, contrastant avec celles du premier plan. On peut en déduire qu’elles ont reçu la consigne du photographe de rester sur leur ouvrage. L’ouvrière au premier plan se tenant bien droite sur son banc, très concentrée, évoque une écolière appliquée. Cette impression est renforcée par sa jeunesse apparente, mais aussi par la baguette qu’elle tient comme un crayon, et par la pile impeccable de masques devant elle et sur ses genoux contrastant avec les monceaux de masques en désordre que l’on aperçoit derrière. Cette mise en scène répond à une double logique : pédagogique, puisqu’il s’agit de bien montrer les étapes de la fabrication des masques ; et idéologique, avec la construction d’une image d’ouvrière « modèle » qui conforte l’idée d’une production — et d’une situation — bien maîtrisée.
Piste pédagogique – Étudier la composition de la une d’un quotidien
Une des images du reportage réalisé dans l’usine Pathé de Vincennes a été publiée en première page du Journal de Montélimar et de la Drôme daté du 29 avril 1916. On peut étudier avec les élèves la composition de cette Une et interroger dans son contexte de diffusion la place et le rôle de cette image. Elle s’insère dans un ensemble de 5 images qui n’illustrent pas des articles, et sont donc porteuses en elles-mêmes (avec leurs légendes) d’informations. On retrouve dans cet ensemble la double dimension de la propagande en temps de guerre :
– dévalorisation de l’ennemi (groupe de prisonniers allemands, avion ennemi capturé) ;
– valorisation de l’armée française tant pour ses qualités militaires (soldats posant à côté de leurs mitrailleuses) qu’humaines (partage d’un repas avec des orphelins de guerre).
Dans ce contexte, l’image des femmes travaillant à la fabrication de « masques contre les gaz asphyxiants, qui sont actuellement des plus perfectionnés » apparait très complémentaire : elle permet à la fois d’évoquer la mobilisation des femmes – et donc de l’arrière – et de rassurer le lecteur sur les progrès et les efforts en matière de protection contre l’arme chimique, très angoissante.

Journal de Montélimar et de l’arrondissement | 1916-04-29 | Gallica